Si le nom de Jane Archibald ne vous est pas familier, il le deviendra sous peu alors qu’elle poursuit son ascension vers les cimes d’une brillante carrière internationale. À 34 ans, cette soprano native de la Nouvelle-Écosse est déjà saluée comme la «colorature de notre temps». Elle connaît un succès stupéfiant comme chanteuse canadienne partout au monde, plus récemment dans ses débuts au MET, où elle chanta pour la première fois — et au pied levé en remplacement de Natalie Dessay — le rôle d’Ophélie.
Avec dix ans de carrière professionnelle sous la ceinture, Mme Archibald a chanté dans plusieurs des maisons d’opéra les plus prestigieuses au monde, dont l’Opéra national de Paris, l’Opéra d’État de Bavière à Munich et l’Opéra d’État de Vienne, en plus de préparer ses débuts à La Scala de Milan et au Royal Opera House Covent Garden. Elle fera également cette année ses débuts à la Canadian Opera Company dans le rôle de Zerbinetta dans Ariadne auf Naxos de Richard Strauss — un rôle exigeant qu’elle possède à merveille depuis 2007, lorsqu’elle le chanta au pied levé à Genève avec « […] une incroyable maîtrise du chant conduit avec une apparente facilité […] une aisance technique que relaie une présence scénique remarquable. » (Le Figaro)
Depuis ses débuts dans ce rôle, les critiques s’arrachent les superlatifs pour décrire son interprétation de l’héroïne comique de Strauss : « L’exceptionnelle performance de Jane Archibald en Zerbinetta restera inoubliable. Sa beauté physique et vocale, son aisance dans toute la tessiture, de l’extrême grave à l’extrême aigu, et le naturel avec lequel elle incarne cette arrière-petite-fille de Despina nous laissent pantois. » (Forum Opera)
Les débuts solo au disque de Jane Archibald, Haydn Arias, avec l’Orchestre symphonique Bienne de Suisse sous la direction de Thomas Rösner, nous fait découvrir sa voix époustouflante dans des extraits des opéras de Joseph Haydn Orlando Paladino, Il mondo della luna et L’isola disabitata.
Jane Archibald a grandi dans une maison où régnait la musique, à Truro, en Nouvelle-Écosse. Son père médecin, maintenant décédé, était pianiste de jazz dans ses temps libres. « La musique pour lui était une sorte de thérapie. Il en jouait pour se détendre à la fin d’une longue journée. Il en jouait à la fois dans les moments difficiles et heureux de sa vie, ce qui fait que la maison résonnait continuellement des accents du piano », se rappelle Mme Archibald. C’est à cela, ainsi qu’à la chance d’avoir grandi dans une communauté à la riche vie musicale comme le Truro des années 1980, que la chanteuse attribue les sources de sa vie musicale future.
Bien qu’elle ait suivi des leçons de violoncelle, joué de la trompette dans l’harmonie scolaire et participé à la comédie musicale de son école, c’est le chant classique qui finit par vraiment stimuler son imagination. Elle a chanté dans divers chœurs, dont le First Baptist Girls’ Choir de Truro, reconnu au niveau national, et dès l’âge de 12 ans, elle prenait des cours de chant et touchait au lied allemand et à la mélodie française. « J’adorais cela, tout particulièrement chanter dans d’autres langues. Ce fut comme un coup de foudre. À 15 ou 16 ans, j’étais déjà assez certaine de vouloir devenir chanteuse. Je savais bien qu’il y aurait des sacrifices à faire et que ça serait difficile, mais, évidemment, je n’avais aucune idée jusqu’à quel point. On ne le découvre en réalité que par l’expérience. »
Jane Archibald s’est retrouvée à la faculté de musique de l’université Wilfrid Laurier à Waterloo dans la classe de Victor Martens, où elle a été exposée à un plus large éventail de répertoires et de styles. « J’étais comme une enfant dans un magasin de bonbons. Je voulais absolument tout chanter — Haydn, Mozart, Bach — à en perdre la tête! Ces années d’études universitaires, c’était une période très excitante de ma vie, une expérience vraiment extraordinaire », affirme-t-elle.
Pour quelqu’un d’un très grand charisme et d’une présence magnétique comme elle, qui de surcroît aime à prendre en toutes circonstances le taureau par les cornes, il est étonnant de l’entendre dire qu’elle se considère une personne plutôt réservée, qui plus jeune avait été très timide. « Je n’aimais pas me sentir observée et jugée, admet-elle. Pour une chanteuse, c’est pas fort! »
Alors comment se fait-il qu’elle soit capable d’interpréter des rôles effroyablement difficiles dans des contextes de plus en plus bizarres — dont sa Zerbinetta en bikini dans la production de l’Opéra de Paris en décembre dernier — exigés par beaucoup de metteurs en scène d’opéra aujourd’hui? Elle en situe la raison à un moment charnière de ses études universitaires. « J’étais dans ma deuxième ou troisième année à Wilfrid Laurier et je chantais des mélodies de Schumann accompagnée d’un pianoforte d’époque que l’école venait d’acheter. J’ai tout simplement décidé que c’était le bon endroit et le bon moment de lâcher prise et de me rapprocher du public, de trouver ce qui m’unissait à lui en abolissant les frontières qui nous séparaient, en laissant tomber le voile, pourrait-on dire. Ça a fait tout un effet! C’était terrifiant car j’avais l’impression de prendre un si gros risque. Mais ça m’a fait grandir, j’étais arrivée à un moment où j’étais prête pour cela. C’était une sensation de communication directe, où je découvrais pour la première fois ce qu’était cette symbiose d’un artiste avec son public. »
« J’aime les défis, en général, poursuit-elle. C’est certainement une qualité qui me caractérise. Alors le fait que cette forme d’art exige que je sois au sommet de ma forme comme chanteuse et comme actrice, et de réussir toutes ces choses à la fois — chanter dans différentes langues, voyager de ville en ville — c’est beaucoup! Mais quand ça marche, c’est vraiment palpitant! »
Jane Archibald se prépare à un tout nouveau rôle cet été : celui d’épouse et de belle-mère. Elle va épouser en juillet le réputé ténor mozartien Kurt Streit. Le couple s’est rencontré lors d’un concert à Berlin et a depuis lors fixé un port d’attache en Autriche, avec le garçon de 13 ans de Kurt. «Ces dernières années, les deux sont devenus une partie très importante de ma vie. Bien sûr, cela comporte ses difficultés. Comme chanteuse, on s’habitue vite à se retrouver souvent seule, en transit, avec ses petites habitudes et préférences. Ça a été pour moi une merveilleuse entrée dans une famille toute faite. Je suis vraiment très chanceuse et très, très heureuse.»
© Luisa Trisi, avril 2011
Traduction : Jacques-André Houle