La musique au temps de la pandémie, avec Yannick Nézet-Séguin.
ATMA Classique parle avec des musiciens de leur vie au temps du coronavirus
« Nous devons garder l’espoir dans nos cœurs. C’est une pause. Certaines choses vont changer, mais on ne peut pas faire taire la musique. Il va falloir du courage, il va falloir de l’initiative et de la créativité, mais nous, les artistes, nous savons comment faire. C’est pour cela que nous existons : pour donner au monde de la beauté et de l’espoir. »
La pandémie de COVID-19 a transformé notre façon de vivre et de travailler. Les musiciens sont particulièrement affectés : les salles de concert demeurent fermées et leurs auditoires sont devenus virtuels. À la lumière de cette réalité en évolution, nous avons lancé une série de courtes entrevues avec des artistes qui enregistrent sous étiquette ATMA Classique, au sujet de leur vie au temps de la pandémie.
Cette fois-ci, nous nous entretenons avec le célèbre chef d’orchestre Yannick Nézet-Séguin, dont le plus récent enregistrement sur étiquette ATMA Classique est la Symphonie no 1 de Sibelius, à la direction de l’Orchestre Métropolitain. Nous avons parlé avec M. Nézet-Séguin en mai 2020.
1. Quelle a été votre dernière prestation publique en concert avant le début du confinement?
J’ai donné mon dernier concert le 12 mars 2020, et son enregistrement vidéo est très populaire sur Internet. Je dirigeais les cinquième et sixième symphonies de Beethoven avec l’Orchestre de Philadelphie. Nous avons joué dans notre salle, en habit de concert. Il n’y avait pas d’auditoire dans la salle, car l’interdiction venait d’entrer en vigueur, mais l’orchestre pouvait encore se réunir. Nous nous doutions bien que ce serait le dernier concert avant un bout de temps, et nous l’avons diffusé en direct à l’intention de notre auditoire virtuel. Aucun de nous n’oubliera jamais cette émotion… le fait de jouer sans auditoire et le sentiment qu’il est si important de faire de la musique ensemble. Tout cela a donné un sens particulier à notre façon de jouer ces symphonies très connues et chargées de symboles.
2. En quoi votre routine quotidienne a-t-elle changé au cours de la pandémie?
Ah! si j’avais une meilleure routine! C’est difficile d’en avoir une en ce moment, même si, en fait, c’est très important pour l’esprit. Bien sûr, au début, j’étais tellement occupé par la montagne de tâches administratives que, bien souvent, j’étais trop fatigué pour faire de la musique ou jouer du piano pendant la journée. Maintenant, j’essaie de commencer la journée au piano et de continuer avec l’administration. Je pense que cet équilibre est meilleur pour ma santé mentale.
3. Quel aspect de cette nouvelle réalité trouvez-vous le plus difficile?
Ce qui est très difficile, c’est d’être loin des musiciens avec qui je travaille tout le temps. La pandémie est une situation difficile pour tous les humains du monde, mais en particulier pour les artistes. Nous avons été les premiers à devoir interrompre nos activités, et nous savons que nous serons les derniers à les reprendre. C’est très dur pour notre moral à tous.
Dans mon cas particulier, celui du chef d’orchestre qui ne peut véritablement faire de la musique qu’au sein d’un groupe, une dimension spéciale s’ajoute, et c’est très difficile à vivre. Ce qui est compliqué, c’est que, de par mes fonctions, je suis à la tête de trois organisations : le Metropolitan Opera, l’Orchestre de Philadelphie et l’Orchestre Métropolitain. Cela signifie que j’ai trois ensembles de défis de gestion de crise à relever, ce qui est très difficile. Actuellement, je suis très heureux d’être là pour tous les autres, pour les équipes de direction, pour les conseils d’administration et en particulier pour les musiciens. Je suis heureux également de bénéficier de plusieurs nouvelles initiatives, comme les appels Zoom avec des élèves et différents organismes, et de pouvoir exécuter de la musique en direct de chez moi avec mon partenaire Pierre Tourville. Tout cela, c’est très bien, mais je me retrouve très occupé à des choses qui n’ont pas l’habitude de m’occuper. Il faut que je me répète que je fais tout cela pour la musique et que je dois continuer de jouer du piano pour rester sain d’esprit.
4. Comment vous occupez-vous depuis l’interruption des concerts en salle?
Comme pour bien des gens avec qui j’ai discuté, je pense qu’en un sens, nous sommes encore plus occupés qu’avant! Alors j’espère sincèrement pouvoir profiter de cette période de confinement pour relaxer, lire davantage et ralentir le rythme, car, en temps normal, je mène une vie très intense. Je ressens une grande frénésie quand j’essaie de gérer toutes les exigences inhabituelles de mon agenda.
Par contre, je ne veux pas me plaindre, car je crois à l’importance de notre présence en tant qu’artistes. Nous sommes là pour offrir de la musique à des gens qui sont actuellement très isolés, et surtout à ceux qui en ont besoin parce qu’ils vivent un stress inhabituel. J’aime beaucoup la présence des artistes dans les médias sociaux et sur diverses plateformes, et ça me fait plaisir d’y contribuer, mais je n’ai vraiment pas besoin de chercher des façons de m’occuper!
Le soir, après le souper, je joue à des jeux de société avec mes parents sur Facetime. Nous avons commandé pour eux le même jeu que nous avons reçu à la maison. Comme ça, nous pouvons avoir une espèce de réunion sociale avec mes parents et mes amis… virtuellement, bien sûr, sur Facetime ou sur Zoom.
5. Vers quelle musique vous tournez-vous le plus souvent depuis l’éclosion de la pandémie?
La musique qui m’a permis de continuer d’avancer, c’est celle que je joue au piano. J’ai encore toutes les partitions que j’utilisais quand j’étais étudiant. Je peux lire mes doigtés et les remarques que mes professeurs de piano ont écrites. Cela me fait beaucoup de bien. En particulier les sonates de Schubert, pour une raison qui m’échappe. J’ai aussi joué beaucoup de Bach pendant un certain temps. Mais actuellement, c’est Schubert qui me permet de garder le cap.
6. Cette période d’isolement a-t-elle eu de bons côtés ou des avantages imprévus pour vous?
Oui. Je pense, comme tout le monde, au simple sentiment d’être chez soi et d’avoir des racines quelque part. Dans ma vie, c’est une bénédiction. Ça ne m’était pas arrivé depuis des années et des années; je pense que la plupart des artistes internationaux pourraient en dire autant. Je suis avec mes chats; eux, ils sont certainement très contents! Et je suis très heureux aussi; j’ai pu conserver mes racines et mes attaches ici.
J’ai de la chance : mes parents et le reste de ma famille sont en excellente santé. Je suis chanceux d’avoir Pierre avec moi et d’être moi-même en bonne santé. Nous faisons de courtes promenades jusqu’à l’épicerie. Nous vivons près du Canal à Montréal et, toutes proportions gardées, il y a de nombreux avantages. Personnellement, j’apprécie énormément le fait d’avoir le temps de jouer du piano.
7. Auriez-vous des conseils à nous donner pour traverser cette période difficile?
Nous devons garder l’espoir dans nos cœurs. C’est une pause. Certaines choses vont changer par la suite, mais on ne peut pas faire taire la musique. Il va falloir du courage, il va falloir de l’initiative et de la créativité, mais nous, les artistes, nous savons comment faire. C’est pour cela que nous existons : pour donner au monde de la beauté et de l’espoir. Et j’ai vraiment hâte de partager la musique en direct avec tous les autres, mais dans l’intervalle, je suis ébahi de voir tout ce que font mes collègues pour maintenir la musique en vie.
Entrevue réalisée par Luisa Trisi, Big Picture Communications