Susie Napper fait partie de cette poignée d’artistes qui font de Montréal un foyer international d’excellence musicale, réputé pour la vitalité et l’excellence de ses ensembles de musique ancienne. Ajouter à cela sa vive imagination, son sens de l’humour et son esprit d’entreprise et vous obtenez une véritable dynamo musicale !
Violoncelliste, gambiste et virtuose du continuo, Susie Napper figure aussi parmi les meilleurs interprètes de viole de gambe. Cet instrument du XVIIe siècle ressemble à un violoncelle mais s’apparente plus à la guitare, avec laquelle il partage le même type d’accord, les frettes et le nombre de cordes. Jouée avec un archet ou en pinçant les cordes, la viole de gambe se distingue par l’étendue de son expressivité et ses poignantes sonorités.
L’histoire d’amour entre Susie et la viole de gambe remonte à son enfance à Londres, dans une famille qui fréquente le milieu des arts. Chaque année, la petite Susie accompagne ses parents à la Passion selon Saint-Matthieu de J.S. Bach. Susie est alors particulièrement impressionnée par l’inspirante viole de gambe obbligato. Il faudra cependant attendre plusieurs années avant qu’elle n’hérite d’une ancienne viole basse, avec laquelle elle apprendra aussitôt à jouer. Entre-temps, Susie a quitté Londres pour New York, où elle fréquente la Julliard School of Music. Elle ira ensuite poursuivre ses études au Conservatoire de Paris et s’installera éventuellement à San Francisco, où elle cofonde l’Orchestre Baroque Philharmonique.
En 1985, avec sa partenaire duettiste Margaret Little, Susie Napper fonde Les Voix humaines à Montréal. Dix ans plus tard, le duo est le premier ensemble enregistré par la nouvelle étiquette montréalaise, ATMA Classique. Aujourd’hui, Les Voix humaines passent du duo de viole de gambe à des formations d’instruments mixtes, une souplesse qui permet d’aborder un répertoire élargi. L’ensemble se produit régulièrement en tournée au pays et à l’étranger et a enregistré une trentaine d’albums, encensés par la critique.
En 2002, Susie Napper était nommée « Personnalité de l’année » par le Conseil québécois de la musique. L’année suivante, sa fougue, combinée à son leadership et à sa persévérance, donnait naissance à Montréal Baroque, un festival annuel invitant des ensembles nationaux et internationaux à se produire dans un cadre novateur – notamment la crypte d’une église et un manoir – dans le Vieux-Montréal.
Le dernier « bon coup » de Susie fut de redonner leur voix aux violes historiques de la Hart House, une collection de six instruments datant des XVIIe et XVIIIe siècles. Acquise en 1929 par Vincent Massey, puis cédée à l’Université de Toronto (Hart House) en 1935, cette fameuse collection était conservée à l’abri des regards. En 1996, ses superbes instruments étaient enfin exposés. Toutefois, ayant rarement été joués, ceux-ci s’étaient passablement détériorés. C’est là qu’en 2008, Susie Napper entre en scène ; elle organise la restauration de ces pièces uniques et propose à Johanne Goyette, présidente d’ATMA Classique, un projet d’enregistrement avec celles-ci. Grâce à Susie et ATMA, le public contemporain peut enfin entendre les inflexions de ces violes dans les magnifiques Fantasias d’Henry Purcell, interprétées par Les Voix humaines.
Quiconque sonde la bloguosphère de musique ancienne découvrira un autre aspect engageant de Susie Napper ; il se trouve que la dame manie admirablement les instruments… de cuisine, au point de faire chanter les palais ! Réputée comme cordon-bleu et pâtissière, elle est aussi connue pour se pointer aux séances d’enregistrements avec gâteaux, petits-fours et autres douceurs, préparés pour ses collègues musiciens. Ses orchestrations gourmandes sont également proposées aux journalistes qui ont la chance d’être invité chez elle, et même, à l’occasion, au public de ses concerts.
Dans son blogue, le claviériste écossais David McGuiness (Concerto Caledonia) résume ainsi la visite de son ensemble au festival Montréal Baroque : « Chris, David G. et moi logeons dans une dépendance derrière la maison de Susie Napper. Au cours des deux derniers jours, nous n’avons eu qu’à franchir la cour pour aller répéter. En traversant la cuisine, on déguste au passage de merveilleuses gâteries maison. Comment Susie a-t-elle l’énergie de diriger un festival, de jouer dans plusieurs de ses concerts et de se lever tôt pour cuisiner ? C’est incroyable ! »
Incroyable, en effet. Pourtant, pour la musicienne, c’est tout simple ; « comme la musique, la bonne bouffe nécessite beaucoup de préparation et est encore meilleure lorsqu’elle est partagée ». À table !
Par Luisa Trisi
traduit par Marie-Elizabeth Roy