NOS QUESTIONS à MATHIEU LUSSIER
Chef d’orchestre, compositeur et bassoniste, Mathieu Lussier est un musicien polyvalent qui possède une solide connaissance du répertoire de musique ancienne. De plus en plus en demande à titre de chef invité, il a récemment fait ses débuts comme chef avec plusieurs formations, dont l’Orchestre symphonique de Montréal. Nommé chef associé des Violons du Roy en 2014, M. Lussier a dirigé plus de 80 concerts de cet ensemble, un peu partout au Canada, au Mexique et aux États-Unis. Il a été directeur artistique du Festival international de musique baroque de Lamèque de 2008 à 2014, et il est actuellement professeur adjoint à l’Université de Montréal.
Mathieu Lussier dirige Les Violons du Roy dans Vivaldi, un nouvel enregistrement d’œuvres choisies représentant la quintessence des 500 concertos composés pour divers instruments par Antonio Vivaldi, qui sera disponible sous étiquette ATMA Classique dès le 11 mars 2016.
Êtes-vous issu d’une famille musicale?
Pas vraiment, si ce n’est une grand-tante (une religieuse) qui jouait de l’orgue. Mon père et mon grand-père et bon nombre des membres de ma famille étaient des mélomanes. On entendait beaucoup de musique classique à la maison et dans l’auto, parce que mes parents étaient tous les deux des auditeurs intéressés par la musique classique, quoiqu’aux goûts parfois différents.
Votre rêve d’enfant, c’était de devenir…
… archéologue. J’ai toujours éprouvé une fascination pour les civilisations anciennes, et j’ai failli m’orienter vers des études en histoire.
Compositeur, chef d’orchestre, bassoniste : comment jonglez-vous avec ces activités?
Pour moi, ce sont des éléments d’un tout. Je suis un musicien. Je joue du basson, mais le basson ne me permet pas de faire tout ce que je veux et tout ce que j’aime. En un sens, je me compare aux musiciens du XVIIIe siècle qui faisaient tout cela. J’aime avoir un agenda chargé, mais varié. Je ne suis pas un passionné du basson, mais c’est mon instrument; la composition est plutôt un passe-temps qu’une activité cruciale pour moi; quant à la direction d’orchestre, c’est un immense privilège, après avoir joué dans des orchestres pendant 25 ans. Maintenant, j’enseigne aussi à l’Université de Montréal, et ça me comble de joie. Je vis une journée à la fois, et si la journée est trop remplie, je la divise en plusieurs blocs.
Est-ce vrai que votre choix du basson comme instrument principal est plutôt accidentel?
Tout à fait! Je voulais aller à l’École secondaire Pierre-Laporte, qui avait un formidable programme de musique à l’époque. Je jouais du piano et je n’étais pas certain d’être accepté, parce qu’il y avait des auditions et beaucoup de candidats, surtout au piano. Les affiches indiquaient qu’on recherchait des jeunes qui jouaient du basson ou du cor, deux instruments qui m’étaient inconnus. Alors j’ai inscrit le basson comme deuxième choix et le cor comme troisième choix, pour m’assurer d’être accepté. Je ne pense même pas qu’ils aient écouté mon audition au piano, car j’étais le premier à auditionner pour le basson depuis le début du programme!
Pourquoi croyez-vous que le basson doit faire l’objet d’une « promotion passionnée »?
Parce que ses possibilités et ses capacités restent méconnues. La plupart des gens estiment qu’ils ne connaissent pas le basson, ou alors qu’il sert uniquement à produire des images musicales comiques ou loufoques. Le basson, c’est bien plus que cela : c’est un instrument noble et très expressif, polyvalent et très sensuel!
Qui a été votre principal mentor?
J’en nommerais trois :
Premièrement : Louis Lavigueur, chef de chœur et d’orchestre. J’ai étudié avec lui à l’École secondaire Pierre-Laporte et au Conservatoire. Il m’a encouragé, il m’a ouvert des portes quand j’avais besoin d’aide, et il m’a aussi (au sens figuré) donné quelques gifles quand j’ai commencé à tout tenir pour acquis.
Deuxièmement : Joël Thiffault, fondateur et chef de l’Orchestre baroque de Montréal. C’est le plus formidable musicien que j’aie jamais rencontré. Il m’a ouvert de nouveaux horizons, il m’a transmis son amour de la musique baroque, il m’a permis d’étudier les instruments d’époque, et il nous a poussés, mes collègues et moi, comme personne ne l’avait fait avant, ni après d’ailleurs.
Troisièmement : Normand Forget, le hautboïste de mon quintette Pentaèdre. Un grand musicien, un grand esprit, toujours à poser des questions au sujet de la musique, du phrasé, de la présence sur scène. Ma façon de faire de la musique aujourd’hui, de voir ma profession, je lui en suis redevable pour une bonne part.
Racontez-nous les débuts de votre carrière professionnelle de chef d’orchestre.
Depuis quelques saisons, je travaillais avec Claire Guimond, la directrice artistique d’Arion Orchestre Baroque; je l’aidais à présenter de nouvelles idées et à concevoir des programmes qu’une autre personne était finalement invitée à diriger. Quand j’ai commencé à travailler à un programme entièrement consacré à Fasch, je lui ai dit comme j’étais ravi de ce programme et de toutes les idées qu’il m’inspirait. Elle m’a regardé en souriant et m’a dit : « Ça te plairait de le diriger? » C’est un des plus beaux cadeaux que j’aie jamais reçus.
Par la suite, j’ai commencé à tourner avec Arion comme soliste et à présenter les programmes à divers auditoires. Mais ce n’est pas vraiment possible de jouer au maître de cérémonie, assis avec son basson au dernier rang de l’orchestre. Et on ne joue pas toujours en solo. Alors, dans le cadre de mes fonctions de directeur artistique au Festival international de musique baroque de Lamèque (de nouveau grâce à Claire), j’ai conçu et planifié toute une saison, et je me suis dit que si je m’occupais de toutes les étapes, du concept initial à la scène, je devrais prendre le dernier relais moi-même et commencer à diriger!
Décrivez-nous votre expérience à la tête de l’Orchestre symphonique de Montréal, plus tôt cette saison.
Difficile à décrire comme expérience; je ne peux même pas dire que c’est un rêve qui s’est réalisé, parce que je ne m’étais jamais même permis de penser qu’un jour je serais sur le podium de ce grand orchestre! C’est drôle, je me suis rappelé très clairement le premier conseil qu’un collègue m’ait donné, en 1994, la première fois que j’ai joué comme pigiste avec l’orchestre : « Relève ton lutrin, ne regarde jamais vers le haut, reste avec nous, et tout va bien aller! » J’ai décidé de raconter cette anecdote à la première répétition, et nous avons tous bien ri!
Votre collègue bassoniste Nadina Mackie-Jackson vous appelle « le saint patron des bassonistes ». Qu’est-ce qui a pu vous valoir ce titre « honorifique »?
Eh bien… pas évident à expliquer… Quand j’ai commencé à composer de la musique, sans aucune prétention et avec beaucoup de doutes, Nadina m’a encouragé à continuer. Depuis, j’ai écrit, principalement pour elle, une cinquantaine d’œuvres, dont la plupart inclue une partie de basson. Je pense que ça donne aux bassonistes du monde entier des œuvres qu’ils ont plaisir à jouer, qui cadrent bien avec notre conception de l’instrument. Quand j’ai composé ma première pièce, Bassango (un quatuor de bassons, sombre et lent, sur un rythme de tango), le quatuor pour bassons le plus connu s’intitulait Pigs, par Alan Ridout! Il y avait donc de la place pour enrichir notre répertoire avec des pièces expressives et peut-être un peu plus suaves!
À ce qu’on nous a dit, vous êtes reconnu pour vos Grilled cheese… Y a-t-il d’autres talents non musicaux dont vous aimeriez nous faire part?
En toute modestie, je cuisine les meilleurs Grilled Cheese au monde. Il était logique que je développe des talents compatibles avec cette qualité. Je dirais donc que j’aime bien recevoir à souper, et que j’ai récemment acquis un magnifique service en porcelaine anglaise du début du XXe siècle.
Qu’est-ce que vous aimeriez que le monde sache à propos de Mathieu Lussier?
Que j’ai deux enfants merveilleux et doués : Thomas, 19 ans, et Adèle, 16 ans. Je suis très fier d’eux. Il n’y a pas d’expérience plus gratifiante que de voir ses enfants devenir des adultes.