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Pleins feux sur Marina Thibeault

La musique pour un temps : des musiciennes et des musiciens parlent de leur vie pendant la pandémie de COVID-19: Marina Thibeault

Notre série d’entretiens avec des musiciennes et des musiciens pendant la pandémie se poursuit, cette fois, avec l’altiste Marina Thibeault. Appréciée pour sa « sonorité riche et profonde, sa virtuosité exceptionnelle et son enthousiasme », elle parcourt le monde en tant que soliste recherchée. Nommée « Révélation » classique de Radio-Canada pour 2016-2017, Marina a ravi les publics du Canada, des États-Unis et d’Europe par ses interprétations élégantes et envoûtantes et sa présence engageante. L’année dernière, elle a commencé son mandat de professeur adjoint d’alto à l’École de musique de l’UBC. ELLES, le deuxième enregistrement de Marina pour ATMA Classique, présente le répertoire pour alto solo et alto et piano (Marie-Eve Scarfone) de compositrices exceptionnelles des XIXe et XXIe siècles.

Quelle a été votre dernière prestation en salle avant le début du confinement?

Ma dernière prestation en salle remonte au mois de février, au moment où mon trio (le Trio Saint-Laurent) terminait sa tournée pour Prairie Début. Notre dernière destination était Canmore, en Alberta, à la ArtsPlace. C’est un endroit magique au décor complètement irréel. Un concert devant une auditoire attentif, et où les musiciens profitaient de chaque note, chaque contour, variant ses couleurs et intentions, comme c’était notre dernier concert de la saison, ensemble. Quelques jours avant mon départ pour les JUNOS (initialement prévu le 15 mars, où je devais jouer au Classical Showcase de CBC), la pandémie a éclaté et je rangeais ma robe de gala fait sur mesure dans le fond de ma garde-robe!

En quoi votre routine quotidienne a-t-elle changé au cours de la pandémie?

Comme j’ai des enfants en bas âges et que j’ai toujours mon poste à temps plein à l’Université de la Colombie-Britannique, mon quotidien n’a pas changé tant que ça. Certes, les déplacements sont inexistants et ma vie de musicienne est maintenant sédentaire, ce qui est étrange, lorsque tu es habituée de vivre dans tes valises plusieurs fois par mois. Au tout début, j’avais l’impression d’être devenue une administratrice. L’annulation de plusieurs billets d’avion, la gestion de la boîte de courriel qui explose, revoir la stratégie de plusieurs projets, etc. C’était comme si tout ce que j’aimais le plus de mon travail m’avait été enlevé, que ce soit l’amour de jouer devant un public ou de partager mes connaissances avec mes élèves à UBC (en personne). Les deux premières semaines ont été dédié à ramasser les pots cassés. Ma priorité était bien-sûr, d’être présente pour ma famille, et de prendre du temps pour faire des activités qui me faisaient du bien, afin de prendre soin de moi et de mes proches, à travers ce tourbillon.

Quel aspect trouvez-vous le plus difficile dans cette nouvelle réalité que nous vivons tous?

La gestion de ma boîte courriel m’épuise, ainsi que les réunions en ligne. Heureusement, remplir des demandes de subventions pour des projets de grands envergures (dont mon troisième disque sous ATMA, qui sera avec orchestre) m’a donné beaucoup d’espoir et a ressuscité mon côté rêveur. Je commence à recevoir des réponses positives et je suis ravie d’avoir investie du temps dans ces dossiers, qui portent fruits.

Comment vous occupez-vous depuis l’interruption des concerts en salle?

Entre la complétion de mon doctorat, mon travail à UBC et les enfants, mes journées sont pas mal remplies! J’essaie de planifier des plages horaires de temps pour moi, ce qui me fait un bien énorme. J’ai commencé à m’entraîner en privé avec une coach par Zoom et à courir jusqu’à 8 km (ça va faire les heures clouer à l’ordi!), prendre des marches avec mes enfants et s’émerveiller devant la magnifique nature du pacifique, tricoter jusqu’aux petites heures du matin, coudre des vêtements pour mes enfants, etc. On fait notre pain blanc maison depuis janvier 2020, et le confinement nous a donné envie d’essayer le pain au levain. Ce fut un échec total! Je n’ai pas la force de “nourrir” une bouche de plus par jour! Deux bébés, c’est bien assez! Le levain est maintenant dans le composte!

Vers quelle musique vous tournez-vous le plus souvent depuis l’éclosion de la pandémie?

Au tout début de la crise, j’étais incapable d’écouter quoi-que-ce-soit. J’avais besoin de silence, ce qui est chose rare dans notre appartement. J’ai découvert plusieurs balados sur les arts textiles et j’ai embarqué dans le théâtre à l’écoute. On écoute majoritairement du Georges Brassens, Charles Trenet, Blue Jeans Bleu, Ella Fitzgerald et Les Trois Accords pendant la préparation des repas. Grande confession: la chanson qui joue le plus ces temps-ci est “I like to move it” (version du film Madagascar), qui est la préférée de notre garçon. Ça fait partie de notre rituel du matin de danser comme des fous après le petit déjeuner. Ça commence la journée du bon pied et nous unis tous ensemble.

Cette période d’isolement a-t-elle eu de bons côtés ou des avantages imprévus pour vous?

Lorsque j’ai obtenu le poste de professeur d’alto associé à l’Université de la Colombie-Britannique, il me restait qu’un séminaire de doctorat à compléter, à l’Université McGill, que je pouvais faire à distance. Avec tous les concerts à l’agenda et de nombreux déplacements, il aurait été quasi impossible de me dédier à ce cours tout le temps et l’attention que j’ai pu lui donner dans les derniers mois. Mon sujet traitait des techniques de psychologie sportive adaptées aux musiciens et j’avais la chance d’être supervisée par un expert du domaine, chercheur et professeur à McGill, Dr. Gordon Bloom. J’ai lu plus de 40 articles sur le sujet, et j’ai pu soumettre mon travail de fin de session, dont je suis très fière. Je prévoie réviser cet article pendant l’été et le soumettre à plusieurs revues.
Je ferai partie de plusieurs initiatives pédagogiques en ligne pendant le mois de juillet, dont UBC music connects, créé par moi-même et trois autres professeurs de notre école de musique, et je donnerai des cours privés et cours de maîtres pour le Domaine Forget ainsi que pour l’Orchestre de la Francophonie.
J’ai pu connecter avec mes auditeurs en ligne à travers la série Canada Performs du Centre National des Arts (31 avril), prendre part au American Viola Society Festival (5 juin) et j’aurai la chance de me produire en concert pour d’autres séries, dont les Concerts barachois (6 août), au Nouveau-Brunswick et pour le festival Cordas (16 septembre) aux Açores! Ça me fera “voyager”, en quelques sortes, tout en étant très écologique!

Auriez-vous un conseil à nous donner pour nous aider à traverser cette période d’incertitude? 

Les mots d’Isolde Lagacé résonnent beaucoup en moi ces derniers mois: “Évitez de tricoter et de détricoter”. La plupart de mes projets entre mars et novembre sont en suspens, comme la plupart des artistes dans le monde. Certains auront lieu en ligne, et d’autres verront le jour plus tard. Je ne me sens plus “pressée” de tout faire, là, maintenant. L’enjeu de reporter est de reporter assez loin dans le futur, afin d’éviter de devoir refaire les plans plus tard. Le temps et l’énergie me semble plus précieux que jamais. Il faut en prendre soin. Je vois ces projets reportés comme une opportunité de continuer mon développement et de les faire encore “mieux” qu’ils auraient été. Marina, version 2.0, est en cours, veuillez patienter, les concerts reprendront bientôt.

Propos recueillies par Luisa Trisi, Big picture Communications

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