Musqiue pour un temps d’arrêt avec David Jacques:
ATMA parle avec des musiciens à propos de leur vie au temps du coronavirus.
Notre série d’entretiens avec des musiciens pendant la pandémie se poursuit, cette fois avec le guitariste et luthiste David Jacques. 14 Histoires de guitares est son tout dernier enregistrement avec ATMA Classique, paru en janvier 2020. Nous avons parlé avec David en juin 2020.
1. Quelle a été votre dernière prestation en salle avant le début du confinement?
Le 29 février je donnais une représentation de Histoires de guitares à l’Anglicane de Lévis. J’avais mis le paquet : 16 guitares de collection sur scène (deux de plus que sur le disque 14 Histoires de guitares!). Le concert s’était super bien déroulé. Une salle comble, un public captivé par ces instruments rares et reconnaissant de participer à cet événement unique. L’adage qui dit qu’on ne vend plus de disques en 2020 ne s’est pas avéré vrai ce soir-là, à mon plus grand bonheur. J’ai aussi fait quelques autres concerts par la suite, mais je me préparais surtout à un printemps et un été extrêmement chargé, avec plusieurs tournées internationales et des dizaines de concerts en solo, de musique de chambre et avec même avec orchestre.
2. En quoi votre routine quotidienne a-t-elle changé au cours de la pandémie?
Être à la maison tout le temps c’est un peu l’opposé d’une routine de musicien. Je n’ai jamais été aussi longtemps chez moi. Évidemment, tout ce temps de voyage en moins m’a laissé beaucoup plus de temps pour faire autre chose et être plus présent pour ma famille, qui vivait aussi l’évolution des événements avec une certaine angoisse. J’ai vraiment apprécié être à la maison. Moins courir partout. Mais, avant de développer une nouvelle « routine » (je mets le mot entre guillemets, car je ne considère pas avoir de réelle routine de toute façon), il y a eu une bonne semaine à faire les cent pas pour me réorganiser, réfléchir à la situation, annuler les concerts… Car oui, annuler des concerts, c’est beaucoup de travail, surtout quand il y a plusieurs diffuseurs dans différents pays d’impliqués, des billets d’avions d’achetés, des subventions d’encaissées, etc.
3. Quel aspect trouvez-vous le plus difficile dans cette nouvelle réalité que nous vivons tous?
Dire que de ne pas pouvoir donner de concerts et de ne pas pouvoir voir mes collègues que j’apprécie serait une réponse trop prévisible!
J’ajouterai donc que je trouve difficile de voir la panique de plusieurs collègues devant cette épreuve. Plusieurs ne sont pas capables de s’imaginer faire autre chose que de la musique et cette situation extrême les pousse hors de leurs derniers retranchements. Je trouve donc difficile de lire leurs publications ou d’écouter leurs confidences. Je suis évidemment très empathique et la situation me touche aussi (et de plein fouet!), mais heureusement j’avais développé d’autres compétences qui, finalement, m’auront permis de rester relativement calme intérieurement pendant la tempête.
4. Comment vous occupez-vous depuis l’interruption des concerts en salle?
Depuis toujours, mes collègues me voient étudier d’autres sujets que la musique. Droit, finances, comptabilité, mycologie, etc. J’ai cumulé des diplômes universitaires et des compétences dans plusieurs autres domaines, par passion. Sans savoir à quoi ça me servirait concrètement, car je me définis comme musicien professionnel d’abord. À la question : « pourquoi tu étudies ça? », ma réponse était souvent : « je ne sais pas! »
J’avais donc assez de plans B-C-D pour rester tout aussi occupé qu’avant la pandémie. En fait, je n’ai pas arrêté du tout. D’abord, le confinement a été décrété en plein pendant la période des impôts (et oui, même en temps de crise, l’impôt est toujours là pour vous, rien n’est plus sûr qu’un travail en fiscalité!) J’ai plus de 200 clients pour lesquels je prépare des déclarations de revenus depuis une dizaine d’années. La très grande majorité sont des artistes. J’aime beaucoup faire ça. Ça change le mal de place! Et, honnêtement, je me sens vraiment utile dans ce rôle.
Ensuite, j’ai enseigné énormément en ligne. D’abord au Cégep Ste-Foy et à l’université Laval, car ce sont des emplois qui n’ont pas réellement été mis sur pause, mais aussi à des étudiants étrangers.
De plus, j’ai une activité qui me passionne : l’importation, la restauration et la revente de guitares anciennes. J’ai donc continué d’investir dans des instruments en cours de restauration en plus d’en vendre quelques-unes.
Finalement, je suis un cueilleur professionnel. Depuis plusieurs années, je cueille des champignons, des baies et plusieurs autres produits forestiers non ligneux. Je fournis des entreprises et des entrepreneurs dans ce domaine. Cette activité est parfaite pour exercer la distanciation sociale!
Mais la guitare là-dedans? J’oubliais presque de dire que j’ai passé énormément de temps sur mes guitares, à travailler du nouveau répertoire, à développer des idées de projets, à faire des demandes de subventions et surtout à préparer mon prochain disque avec ATMA : 14 Histoires de guitares romantiques!
5. Vers quelle musique vous tournez-vous le plus souvent depuis l’éclosion de la pandémie?
J’ai continué à travailler du répertoire pour guitares anciennes. Chaque jour, je lis dans les archives à la recherche de pièces intéressantes. Si j’ai une routine, c’est celle-là! Et la pandémie ne l’a pas changée, si ce n’est que j’y ai consacré plus de temps.
6. Cette période d’isolement a-t-elle eu de bons côtés ou des avantages imprévus pour vous?
J’aime bien cette question, car au début je me suis mis à faire la liste des concerts et des revenus perdus. Pour avoir une idée de la situation et imaginer des solutions. Mais à un moment donné je me suis dit qu’il serait beaucoup plus juste et positif de comptabiliser aussi les opportunités et les revenus que je n’aurais pas eus si la situation avait été normale. En bout de ligne j’ai été très surpris de constater que j’avais réussi à trouver autant d’opportunités d’affaires que celles que j’avais perdues. Ça a été le début d’un « lâché prise » et d’un élan d’optimisme.
Évidemment, il n‘y a pas que l’aspect économique dans l’équation. J’ai dû aussi faire la liste des opportunités artistiques que j’avais perdues. Les tournées à venir, les associations avec d’autres artistes, des orchestres, des projets avec des collègues et tout le plaisir de faire de la musique en groupe. Mais, à l’instar des aspects financiers, j’ai dressé la liste des opportunités artistiques et il y a plusieurs choses intéressantes qui m’ont été offertes. À commencer par le prochain disque que j’enregistrerai chez ATMA à l’automne : 14 Histoires de guitares romantiques. J’ai profité du confinement pour enregistrer, diffuser mes trouvailles sur les réseaux sociaux, faire une pré-productions quoi! La formule traditionnelle du « concert » est loin d’être la seule gratification artistique à laquelle je m’accroche. Et l’arrêt des concerts n’a aucunement affecté ma créativité.
7. Auriez-vous un conseil à nous donner pour nous aider à traverser cette période d’incertitude?
Être plus positif.
Je ne veux pas jouer à l’autruche et je reconnais les défis qu’a à faire face l’industrie de la musique. D’autres défis se sont ajoutés à la suite de la pandémie et du confinement. Je suis d’accord avec beaucoup de collègues qui ont publié des textes dans les médias traditionnels et sociaux au sujet de la précarité de notre statut. Personne ne peut nier ça. Mais, sachant ce qu’il en est au niveau législatif, il m’apparaît sage de prévoir des revenus d’appoint en temps de crise. D’autres passions, d’autres occupations et même d’autres professions. Si les plans B-C-D sont passionnants, c’est loin d’être désagréable de faire différentes choses. Ce n’est pas vrai que pour créer il faut absolument être dans sa bulle et passer toutes ses journées avec son instrument, enfermé dans son studio. Avoir différentes activités lucratives n’est pas une entrave à la vie d’artiste. Cela dit, ça n’empêche pas qu’on devrait tout faire en tant que société pour assurer de meilleures conditions aux travailleurs du milieu culturel.
Être plus positif, c’est aussi s’arrêter et prendre conscience que les effets dévastateurs liés au confinement ne dureront pas éternellement. Imaginez ce que les gens ont dû traverser, juste au XXe siècle : guerres, pandémies, crises économiques, désastres naturels. Et, la musique est encore là.
Propos recueillis par Luisa Trisi, Big Picture Communications