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Pleins feux sur Sheng Cai

Consacré à la musique de Franz Liszt, le premier album du pianiste canadien Sheng Cai sur l’étiquette ATMA Classique suscite des éloges unanimes de critiques du monde entier depuis son lancement en 2020. Né en Chine, Sheng Cai a étudié au Conservatoire de musique de Shanghai et a gagné le premier prix au Concours national de 1998. L’année suivante, sa famille a immigré au Canada, où il a commencé à étudier au Royal Conservatory of Music de Toronto. Sheng Cai a obtenu un baccalauréat en musique en tant que boursier complet au New England Conservatory de Boston. Depuis, il s’est produit de par le monde, dans une multitude de salles prestigieuses.

Lauréat de nombreux concours pendant son adolescence, notamment le Concours de piano de l’Orchestre symphonique de Montréal, le Concours de piano de l’Orchestre symphonique de Toronto et le Concours international des jeunes artistes du Colorado, Sheng Cai a également été le plus jeune finaliste et lauréat du prix spécial du Concours international de piano Bösendorfer. Il a été le plus jeune finaliste du concours international de piano Hilton Head aux États-Unis et a fait ses débuts avec l’Orchestre symphonique de Toronto à seulement quinze ans.

En octobre 2021, nous aurons enfin le plaisir de lancer un nouvel album de Sheng Cai, qui contient des œuvres pour piano du plus célèbre des compositeurs norvégiens, Edvard Grieg. Récemment, nous avons rejoint Sheng Cai pour parler de musique, de la vie de pianiste de concert et de l’avenir.

Comment la musique est-elle entrée dans votre vie?

Mes parents sont des mélomanes. Ils aiment la musique classique, et ils ont tenu à me donner la possibilité d’étudier le chant et le piano quand j’étais enfant. J’avais environ 11 ans à mon entrée au Royal Conservatory de Toronto, où j’ai commencé à manifester un certain talent et à attirer l’attention du public. L’idée d’une carrière musicale est venue par la suite.

Qui a été votre mentor le plus important, sur le plan musical ou autrement? 

Pendant mes années de formation, j’ai étudié avec plusieurs professeurs, au Canada et aux États-Unis. Anton Kuerti figure parmi mes professeurs canadiens les plus importants. C’est lui qui m’a présenté les 32 sonates de Beethoven lorsque j’étais adolescent. Je devais avoir 14 ans quand il m’a invité à assister aux séances de montage de ses nouveaux enregistrements des sonates de Beethoven. Pourtant, je commençais à peine à me familiariser avec ce répertoire. Kuerti est un grand musicien, qui a une affinité particulière avec le classicisme allemand. J’ai aussi étudié d’autres répertoires variés avec des professeurs américains.

Les grands compositeurs, en particulier les romantiques, sont également une source d’inspiration pour moi. Leur musique nous apprend beaucoup de choses sur le sens de la vie à leur époque, en relation avec les valeurs modernes d’aujourd’hui.

On lit dans votre biographie que vous êtes également compositeur. Pouvez-vous nous en dire davantage sur cette activité et sur vos compositions?

Jusqu’ici, j’ai composé de courtes œuvres pour le piano; je les écris quand j’ai du temps libre pour composer. Elles s’approchent quelque peu du style romantique, mais j’y vois aussi certaines influences modernes sur le plan de la tonalité. Juste avant le début de la pandémie de COVID-19, j’ai interprété une cadence que j’avais écrite pour Rhapsody in Blue, de Gershwin. Un chef de Singapour, qui m’avait invité à jouer avec un orchestre en Chine centrale, m’a donné l’occasion de la créer devant public, et elle a reçu un bon accueil de la presse. Je caresse le projet de jouer davantage de mes propres compositions quand je me sentirai prêt à les présenter au public.

Votre nouvel enregistrement sur l’étiquette ATMA est consacré à la musique d’Edvard Grieg. Quel aspect de sa musique vous a donné l’idée de lui dédier tout un album? Avez-vous un morceau de prédilection?

J’ai toujours vu en Grieg l’un des plus grands compositeurs pour le piano dont les œuvres aient été négligées par bon nombre de pianistes professionnels. À mon avis, certains morceaux de cet album, comme la Ballade en sol mineur, la Sonate et les pièces pour piano de l’opus 19, pourraient figurer au même rang que les grandes œuvres de Chopin, de Liszt ou de Brahms. Grieg fait un tel usage de la texture pianistique, de l’écriture expressive et de sa palette sonore personnelle que ses œuvres méritent d’être étudiées et jouées. Rachmaninov considérait les œuvres de Grieg comme un sommet de l’écriture pour piano, toutes époques confondues, et Grieg a influencé bien d’autres compositeurs américains – comme Edward MacDowell – ou russes – comme Tchaïkovski. Dans ce nouvel album, je dirais que la Ballade en sol mineur, op. 24 est ma préférée. Au début du XXe siècle, plusieurs pianistes l’ont mise de l’avant, tels Godowski, Rubinstein et Rachmaninov, et elle mérite un nouvel essor mondial en ce XXIe siècle.

Vous vous signalez souvent par la créativité de vos programmes de concert et plus particulièrement votre souci de défendre des œuvres négligées de compositeurs méconnus tels que Busoni, Enesco ou Kabalevski. Pourquoi cette mission vous tient-elle à cœur?

J’estime qu’il est très important de présenter des sommets méconnus de la littérature pianistique, et plus particulièrement celle de compositeurs pour qui j’ai des affinités musicales et dont les œuvres ne sont pas encore assez connues du public et des musiciens professionnels. Depuis trois ou quatre ans, je promeus aussi des œuvres de Villa-Lobos, de Medtner et de Kapoustine (qui est décédé l’été dernier), et mes interprétations ont été bien accueillies. Aucun compositeur n’est un génie 24 heures par jour, et certains compositeurs relativement peu connus ont aussi écrit des œuvres d’un niveau artistique et spirituel très relevé. Dans mes programmes, j’essaie de les mélanger aux œuvres populaires, aux « standards » du répertoire.

La pandémie a fortement perturbé la programmation des concerts. Quand aura lieu votre première apparition devant public?

En septembre, je me produirai en récital pour l’Arts and Letters Club de Toronto. Mon programme comprend de la musique du compositeur torontois Oskar Morawetz. Ma première exécution avec orchestre sera le Concerto pour piano no 4 de Rachmaninov, que je jouerai en Allemagne en décembre prochain. Une bonne douzaine de mes concerts ont été reportés ou annulés depuis le début de la pandémie, et je suis convaincu que la plupart des interprètes ont vécu la même expérience.

Vos comptes Facebook et Twitter ont une audience plutôt imposante. Quelle est l’importance, pour un artiste classique, d’être actif dans les médias sociaux et de générer une forte présence sur ces plateformes?

Selon moi, c’est important d’avoir une audience dans les médias sociaux pour familiariser la nouvelle génération à la musique classique et à de grandes œuvres qu’elle n’a peut-être jamais entendues, à plus forte raison en ces temps de pandémie, où beaucoup de concerts sont virtuels. Les gens m’écrivent sur ces plateformes; ils veulent me voir et m’entendre en direct, et certains sont prêts à prendre la route jusqu’au lieu de ma prochaine prestation.

Quelles sont les idées reçues les plus courantes au sujet de la vie de pianiste de concert?

On pense souvent qu’un pianiste de concert est comme une célébrité. Notre travail de pianiste ne se borne pas à enrichir la culture des amateurs de musique classique; il consiste aussi à léguer un héritage solide et des interprétations de référence pour les générations futures. Glenn Gould, par exemple, a été l’un des premiers pianistes à jouer et enregistrer les Variations Goldberg de Bach au piano. Depuis, cette œuvre est devenue un incontournable du répertoire partout dans le monde.

Si vous n’aviez pas eu la possibilité de faire une carrière musicale, où en seriez-vous aujourd’hui?

Je pourrais m’imaginer en acteur de cinéma. Quand j’étais plus jeune, je voulais m’essayer à jouer divers rôles sur la scène ou à l’écran. Le métier d’acteur ressemble beaucoup à celui de musicien interprète : il s’agit dans les deux cas de représenter un large éventail de personnages remarquables de notre société. Si je n’avais pas été pianiste, il est probable que je travaillerais quand même dans le domaine artistique.

Quels projets se profilent à l’horizon pour vous? 

J’ai plusieurs projets d’enregistrements en préparation. Le prochain, pour ATMA Classique, sera consacré à la musique de Sergueï Rachmaninov. Entre autres œuvres, je vais enregistrer la première version de sa Sonate no 2, op. 36, qu’il a écrite en 1913 et qui est rarement jouée. Cet album comprendra aussi ma propre transcription d’extraits de son premier opéra, Aleko. J’ai aussi pour projet d’enregistrer des œuvres canadiennes.

 

Entretien réalisé par Luisa Trisi, Big Picture Communications