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Une entrevue avec la jeune pianiste, Beatrice Rana

ATMA Classique a pu joindre par Skype la pianiste de 19 ans Beatrice Rana, il y a quelques jours, alors qu’elle se trouvait dans sa ville natale du sud de l’Italie. Lauréate l’an dernier du Premier Prix au Concours musical international de Montréal, Beatrice prenait une pause avant de reprendre ses études à Hanovre en Allemagne — mais pas avant de venir au Canada jouer avec l’Orchestre symphonique de Québec les 18, 19 et 20 septembre et en Suisse avec le Tonhalle Orchester de Zurich le 1er octobre. Elle sera de retour à Montréal le 24 février pour un récital à la Salle Bourgie, où elle jouera notamment les Préludes de Chopin.

Parlez-nous de votre prime jeunesse — d’où vous êtes née et de l’atmosphère qui y régnait.
Je suis née à Arnesano dans le sud de l’Italie, un très joli hameau dans la campagne près de Lecce dans les Pouilles. Mes grands-parents étaient viticulteurs dans cette région très rurale, en pleine nature. Mes parents sont tous deux des pianistes professionnels qui enseignent également la musique. Toute ma famille adore la musique, alors il était tout à fait normal que j’aborde très tôt le piano; mes parents jouaient tout le temps, car c’était leur métier.

J’ai une sœur de 17 ans qui joue du violoncelle. Plus jeune, on se chamaillait toujours, mais maintenant nous sommes très proches. J’aimerais avoir plus d’occasions de jouer avec elle, car c’est une excellente musicienne.

Quand vos parents ont-ils découvert que vous aviez un talent musical hors du commun?
Je crois que ça date des tout premiers moments. La musique m’intéressait beaucoup, bien sûr; j’ai commencé à jouer à l’âge de trois ans et c’était pour moi une activité très intuitive. Par exemple, en regardant des dessins animés, je pouvais reproduire la musique dès que je m’assoyais au piano. Ça me venait tout naturellement. Il y avait aussi toutes ces musiques des films de Disney que j’essayais de reproduire au piano. J’étais vraiment accro aux films Disney, dont j’aimais également beaucoup la photographie. Mon père m’accompagnait alors et nous avions bien du plaisir! C’était pour moi d’une approche très aisée, comme pour une langue seconde.

Vous n’avez que 19 ans; parlez-nous du moment où vous avez décidé d’embarquer dans une carrière internationale de pianiste de concert et des défis que vous rencontrez en raison de votre jeune âge.
Puisque jouer de la musique était pour moi comme une seconde nature, il n’y a pas eu un moment précis où je me suis dit que j’en ferais une carrière. Évidemment, j’ai eu quelques moments difficiles au cours de mes études, et j’en ai quelquefois encore, mais je suis convaincue que c’est la bonne carrière pour moi. Ce n’est pas toujours facile de gérer une carrière d’une telle envergure, qui demande d’être si souvent sur la route. Quand on est jeune, on a des amis avec qui on aime sortir, et il est parfois difficile de ne pas les voir pour quelques semaines parce qu’on est en tournée. Mais je peux dire que j’ai de merveilleux amis qui comprennent mon choix de carrière — la plupart ne sont pas des musiciens, mais ils comprennent. Je me sens vraiment privilégiée de découvrir le monde et de rencontrer des gens de divers pays… j’ai vraiment de la chance.

Comment avez-vous choisi le répertoire pour votre premier CD, les Préludes de Chopin et la Sonate no 2, opus 19 de Scriabine?
Je voulais vraiment enregistrer les Préludes de Chopin, que j’adore! Chopin est l’un des compositeurs les plus aimés, surtout pour le piano; il est le poète du piano. Les Préludes comptent parmi ses chefs-d’œuvre, et ce qui m’a fasciné, c’est qu’il avait commencé à les composer quand il avait à peu près mon âge. Il avait 19 ans quand il a commencé à composer les Préludes, mais ça s’est échelonné sur dix ans! Cette période de sa vie où il fréquentait George Sand était captivante. On peut entendre dans cette musique autant l’histoire d’amour que les tourments; c’était un personnage complexe et difficile. Il vivait alors en Espagne et il craignait qu’elle le quitte, car leur relation était houleuse. Il en faisait des cauchemars et on peut vraiment l’entendre dans la musique. Il y tant de contrastes dans cette musique! Ce qu’il y a de plus exigeant comme pianiste c’est de bien les rendre, et pour ce faire, il faut connaître le contexte dans lequel travaillait le compositeur tout en réussissant à maintenir un sentiment d’unité tout au long d’une œuvre alignant 24 préludes.

J’avais 15 ans lorsque j’ai commencé à apprendre les Préludes de Chopin. Quant à la Sonate de Scriabine, c’est une nouvelle pièce pour moi, que j’ai abordée pour la première fois l’an dernier. C’est une œuvre que j’aime beaucoup et je crois que c’est un bon choix pour accompagner les Préludes parce que Scriabine était très attiré par le style de Chopin. On peut facilement percevoir cette influence, notamment dans des œuvres assez précoces comme la Sonate no 2. J’aime particulièrement que le second mouvement soit en fait un hommage à Chopin, qui fait quand même clairement entendre le style propre à Scriabine.

Si vous n’aviez pas pu faire carrière en musique, quels autres domaines auriez-vous envisagés?
Je n’y ai jamais songé sérieusement! Jusqu’à l’année dernière, je suivais à l’école secondaire un curriculum centré sur les sciences. J’ai toujours été fascinée par la médecine et l’astronomie. Je sais que c’est totalement différent, mais ce sont les deux autres domaines qui m’intéressent le plus. Mais je n’ai jamais songé sérieusement à me lancer dans ces domaines, car ils sont très difficiles et très exigeants.

Que faites-vous de vos temps libres, quand vous n’êtes pas en train de pratiquer, d’étudier ou de vous produire en concert?
J’aime beaucoup lire, et je découvre tout juste le plaisir des biographies. J’ai commencé à en lire il y a environ deux mois et je me suis rapidement attaché à ces biographies de gens importants. C’est fantastique, parce qu’on connaît ces compositeurs par leurs œuvres, mais on ne connaît pas leur vie intérieure et personnelle, et ça, c’est fascinant.

Je ne consacre pas plus de cinq ou six heures par jour à la pratique personnelle, car je trouve cela très épuisant et je veux toujours garder ma concentration. Ce qu’il y a de dramatique pour moi, c’est que j’ai toujours de la musique dans la tête! Dans un sens c’est bien, mais dans un autre, pas tellement parce que c’est difficile parfois de trouver la paix. Je n’arrive pas à trouver de silence dans ma tête, alors il est rare que j’écoute de la musique dans mes temps libres — il faut que je me repose l’esprit. C’est assez cocasse ce qui arrivait lorsque je voyageais avec ma mère ou mon père pour des concerts : d’habitude, je dors avant les concerts, et mes parents m’ont dit que je bougeais sans cesse mes doigts dans mon sommeil!

Bien sûr, dans mes temps libres, j’en profite pour sortir avec des amis; surtout maintenant que je suis en Italie, j’essaie d’en profiter beaucoup. Comme j’étudie en Allemagne, je les vois rarement. Je passe aussi beaucoup de temps avec ma famille, et j’adore me retrouver dans ce bel environnement. Quand je suis à Hanovre, par contre, ce n’est pas toujours la meilleure solution que de sortir, à cause du temps exécrable qu’il y fait!

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