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En entrevue: Elinor Frey de Pallade Musica

La violoncelliste Elinor Frey est membre de l’ensemble baroque Pallade Musica, lauréat du premier prix au concours d’interprétation baroque d’Early Music America à New York en 2012. Pallade Musica réunit quatre instrumentistes parmi les plus prometteurs de la scène baroque montréalaise : Elinor au violoncelle baroque, Tanya LaPerrière au violon baroque, Esteban La Rotta au théorbe et Mylène Bélanger au clavecin. Le premier enregistrement du quatuor, Verso Venezia, sera lancé le 29 avril 2014. ATMA Classique a rencontré Elinor au début d’avril à New York, où elle participait à une série de concerts.

1. Comment l’ensemble s’est-il formé?

Nous avions joué ensemble avec quelques autres groupes montréalais déjà établis, notamment l’Ensemble Caprice et Les Idées heureuses. Collectivement et individuellement, nous cherchions à monter nos propres projets. Je m’occupe d’une petite série de concerts dans une papeterie au centre-ville de Montréal. Ces concerts donnent l’occasion à des musiciens professionnels de mettre des nouveautés à l’essai dans un cadre très informel, par exemple une pièce qu’ils ont toujours voulu jouer. En 2011, j’ai organisé une soirée consacrée au violon, où Tanya LaPerrière a joué une sonate de Marini. Mylène Bélanger et moi l’avons accompagnée, et le courant passait vraiment bien entre nous trois. Il y avait aussi Esteban La Rotta qui jouait magnifiquement du théorbe, alors nous avons décidé d’essayer de former un ensemble doté d’une basse continue très riche : théorbe, violoncelle et clavecin. Ce genre de groupe compte souvent deux violons; nous avons plutôt opté pour un violon et un violoncelle, qui peuvent tous les deux prendre le devant de la scène. Nous avons pris une bière ensemble et décidé de préparer un concert. Pour moi, l’impulsion de réunir ces musiciens vient en partie du fait que j’aime beaucoup le violon, et il y avait certaines pièces de musique pour violon que je voulais jouer avec l’ensemble. Comme j’aimais beaucoup le jeu de Tanya, j’ai proposé certaines pièces, nous avons préparé une maquette d’audition et nous nous sommes inscrits au concours d’Early Music America.

2. Parlez-nous un peu de chacun des membres de Pallade Musica.

Nous sommes tous fixés à Montréal, mais nous venons d’horizons variés et nous avons tous commencé à jouer de la musique ancienne à des moments différents. Esteban est un Colombien de Bogotà; je suis née à Seattle, mais j’ai le statut de résidente permanente au Canada; Tanya et Mylène sont Québécoises.

Nous avons tous vécu en Europe pendant au moins un an pour étudier la musique ancienne. Nous avons tous voyagé et tenté de nous imprégner de diverses influences. Chacune et chacun de nous apporte un point de vue très particulier au groupe : j’adore la musique italienne, Mylène raffole du répertoire français et Esteban joue beaucoup de pièces de la Renaissance. Cela nous oblige habituellement à répéter assez longtemps et à essayer plusieurs approches différentes avant d’arriver à un résultat unique.

3. Quel a été l’impact de votre premier prix au concours d’Early Music America sur la notoriété et la réputation de l’ensemble?

Je crois que ce prix a été essentiel pour nous et qu’il a eu deux conséquences particulièrement importantes : il a amené les gens à nous prendre davantage au sérieux et il nous a donné un surcroît de confiance. Ces deux effets nous aident vraiment à aller plus loin. Le sentiment d’avoir quelque chose à dire nous met en confiance pour nos démarches de promotion; on se dit que ça peut valoir la peine de forcer encore un peu plus et de donner tout ce qu’on a. Cette confiance et ce désir doivent venir de nous et de notre effort : la volonté de répéter davantage, celle d’envoyer des courriels pour solliciter la programmation de nos concerts. Bien sûr, avec le prix, il est plus facile d’organiser des concerts et d’amener des gens à venir nous écouter. C’est parce que nous avions gagné ce concours que [la présidente d’ATMA] Johanne Goyette est venue nous entendre en concert! En passant, nous avons eu énormément de plaisir à travailler avec Johanne et l’équipe d’ATMA, des gens très professionnels et sensibles. Au cours du processus d’enregistrement, Johanne a très bien vu ce que nous recherchions, de sorte que la réalisation s’est déroulée très agréablement.

4. À votre avis, quelles sont les qualités qui distinguent Pallade Musica des autres ensembles similaires?

Nous tentons de faire ressortir ce qui se passe quand quatre personnes se tiennent ensemble et apprennent les unes des autres. Le courant passe entre quatre individus.

Pour ce qui est de la musique de chambre, comme nous sommes capables d’explorer un répertoire conçu particulièrement pour notre instrumentation (violon, violoncelle, et continuo au théorbe et au clavecin), nous faisons un travail approfondi. Nous passons beaucoup de temps à peaufiner des aspects comme l’affect ainsi que les couleurs et les textures de la musique. De plus, nous mettons chaque personne en vedette en tant que soliste : dans la plupart de nos concerts, il y a une sonate pour violoncelle, une pièce où le clavecin est au premier plan et une pièce pour théorbe; chaque fois, le changement de texture est palpable. Quand nous jouons tous ensemble, il y a beaucoup d’intensité. Nous mettons en évidence l’élégance et le calme de cette musique. Beaucoup d’interprètes actuels confondent le jeu agressif avec l’intensité, et cette approche ne fonctionne pas toujours.

Beaucoup de groupes de musique ancienne sont des passionnés d’histoire et de recherche; nous, nous essayons de combiner un répertoire que les mélomanes sont susceptibles de connaître à des pièces jouées plus rarement. Ainsi, la recherche est un aspect vraiment important. À chaque concert, nous jouons au moins quelques pièces que la majeure partie de l’auditoire n’a jamais entendues. Nous ne nous fixons pas de limites, cependant : rien ne nous empêcherait de consacrer tout un programme à Jean-Sébastien Bach!

5. Comment choisissez-vous votre répertoire? Y a-t-il un leader ou si tout se fait en collaboration?

C’est un travail de collaboration. C’est une entreprise très difficile, mais très bénéfique aussi, de former un groupe dans lequel quatre personnes s’investissent complètement. Les décisions artistiques se prennent à quatre, lentement, au fil du temps; cela demande beaucoup de courriels et de discussions. Pour le premier programme que nous avons présenté (celui qui nous a permis de gagner le concours d’EMA), j’ai suggéré le titre du programme (Terreno e vago), mais tout le monde a eu son mot à dire dans le choix des pièces.

6. Vous semblez avoir une réelle affinité pour le répertoire italien.

Nous en avons discuté longuement. Il y a actuellement deux tendances dans les parutions sur disque : d’un côté, les compilations, de l’autre, les réalisations très érudites comme l’œuvre entier d’un compositeur. Cette seconde tendance pose un problème : il est difficile de trouver 60 minutes de musique baroque d’un même compositeur pour violon obligé, violoncelle obligé et basse continue. Quant aux compilations, elles sont plutôt difficiles à vendre. Nous avons donc essayé de trouver un équilibre entre ces deux approches en présentant les œuvres écrites pour notre instrumentation par trois compositeurs. Nous n’en sommes qu’à notre deuxième saison complète; au cours de la première, nous avons fait beaucoup de musique italienne et notre jeu était en développement, alors c’était une bonne façon de présenter ce que nous maîtrisions le mieux tout en respectant l’idée de combiner des œuvres connues et méconnues dans le programme du disque.

7. Parlez-nous des projets et des prochains concerts de Pallade Musica.

Notre prochain concert aura lieu à Montréal le 27 avril; nous jouerons avec l’ensemble La Chamaille, de Québec. Et nous avons vraiment hâte de séjourner en Colombie, à Bogotà, en mai, pour trois concerts, une classe de maître et des conférences. C’est Esteban qui a organisé ce projet, et ce sera vraiment formidable de jouer là-bas. Cette série de concerts existe depuis un certain temps déjà. Jordi Savall y a déjà joué, alors c’est un honneur pour nous que d’y participer.

Notre mois de juin sera très occupé : nous allons jouer au Festival de musique ancienne du Connecticut, puis au Festival Montréal Baroque, où nous interpréterons tout le programme de notre disque. La semaine suivante, nous serons au Festival de musique ancienne d’Indianapolis. La saison prochaine, nous allons aussi nous produire à San Francisco, à Syracuse, à Edmonton, à Calgary, à Pittsburgh, à Tucson et ailleurs!

www.pallademusica.com

Entrevue réalisée par Luisa Trisi, © ATMA Classique, 2014.

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