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En Entrevue: Olivier Godin

Pendant l’enregistrement du coffret Poulenc, © Vincent Lapointe

Le pianiste et chef de chant d’origine montréalaise Olivier Godin jouit d’une brillante carrière tant au Canada qu’à l’étranger. Il est chef de chant à l’école de musique Schulich de l’Université McGill et directeur de l’Atelier d’opéra du Conservatoire de musique de Montréal, où il agit aussi à titre de professeur. Il dirige également le programme d’accompagnement vocal à l’académie d’été du Centre d’arts Orford.

Olivier Godin a été l’une des forces vives dans la mise en œuvre du projet de l’enregistrement de l’intégrale des mélodies pour voix et piano de Francis Poulenc chez ATMA Classique, un coffret marquant qui met en valeur le talent des chanteurs tels que Hélène Guilmette, Pascale Beaudin, Julie Fuchs, Julie Boulianne, François Le Roux et Marc Boucher. Parmi les joyaux qu’on peut y découvrir, soulignons les premiers enregistrements sur disques de trois mélodies inédites de Poulenc. Ce coffret de cinq CD est le fruit d’une collaboration entre ATMA, CLEF (Centre lyrique d’expression française) et le Festival Classica.

Quand avez-vous décidé de consacrer la majeure partie de votre carrière de pianiste au travail que vous effectuez maintenant auprès des chanteurs?
En réalité, je me suis épris de cela par hasard. J’étais encore étudiant au Conservatoire de musique de Montréal quand j’ai obtenu une bourse pour aller étudier le piano à la Music Academy of the West de Santa Barbara, en Californie. Je devais avoir 18 ou 19 ans, et je ne connaissais à peu près rien! Je suis arrivé là-bas avec mes concertos de Rachmaninov et mes sonates de Prokofiev – du solide, quoi. Je me sentais plutôt important parce que je possédais ce répertoire. À ce moment-là, il y avait aussi un programme un programme de piano d’accompagnement – c’est amusant de constater qu’aujourd’hui j’enseigne cette discipline au Centre d’arts Orford quand je pense qu’à cette époque je ne savais même pas que cela pouvait exister. Cette année-là, il n’y avait pas suffisamment de pianistes inscrits à ce programme, on a donc demandé à certains étudiants en piano solo s’ils étaient intéressés de faire partie du programme d’accompagnement. J’ai accepté parce que la chose m’intéressait et parce que j’étais sans doute un peu inconscient, car que je ne connaissais encore rien de tout cela. On m’a alors remis des partitions et on m’a dit: «D’accord, apprends ceci; nous avons une masterclass demain». Et c’est ce que j’ai fait. On avait cependant omis de me dire qu’il s’agissait d’une classe de maître publique donnée par Marilyn Horne et Thomas Hampson et présentée devant un auditoire de 500 personnes! Je n’ai donc pas commencé par la voie la plus facile. Mais depuis, je n’ai jamais cessé de faire de l’accompagnement. J’ai eu la chance d’avoir beaucoup d’amis dans la classe de chant au conservatoire qui, lorsque que leur professeur ou leur accompagnateur n’était pas disponible, venaient me voir pour déchiffrer leurs partitions. C’est donc ainsi que j’ai appris!

Vous êtes également organiste. Comment composez-vous avec la pratique de ces deux disciplines passablement différentes?
En fait, je voulais au départ devenir organiste. Enfant, j’étais un peu fou. À huit ans, j’ai demandé, dans une lettre envoyée au Père Noël, de recevoir des disques de musique pour orgue de Bach! Ma mère était bibliothécaire. Je me souviens d’un merveilleux livre, rempli d’images d’orgues du monde entier, et tous les deux mois, je lui demandais de le rapporter du travail à la maison. Déjà à cette époque, chaque fois qu’il y avait un concert avec Raymond Daveluy, le très grand organiste de l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal à l’époque, je voulais y aller. Mes parents se sont rendus à l’évidence: leur fils voulait faire de la musique. Ils ont eu l’intelligence de ne pas me faire commencer par l’orgue mais bien par le piano, dont je suis également tombé amoureux. J’ai poursuivi mes études de piano pendant plusieurs années, et à la fin de ma maîtrise au Conservatoire, j’ai décidé de prendre également des leçons d’orgue, c’est ainsi que j’ai pris la décision de jouer de cet instrument. Je donne quelques concerts d’orgue par année et je suis I’assistant de l’organiste de la cathédrale Marie-Reine-du-Monde à Montréal. Mais je dois dire que je ne joue plus de l’orgue autant qu’auparavant.

Comment cet ambitieux projet soulignant le génie de Poulenc a pris forme?
Le projet a pris forme parce que Poulenc est incontestablement l’un de mes compositeurs préférés, et que j’ai toujours voulu enregistrer un CD consacré à Poulenc. L’idée m’en est venue lorsque nous avons constaté que nous étions à la veille du 50e anniversaire de la mort de Poulenc. Je travaille beaucoup avec Marc Boucher et Pascale Beaudin, deux des chanteurs de ce coffret, ainsi qu’avec François Le Roux lorsque celui-ci est à Montréal ou encore à Paris. De plus, je collabore régulièrement avec mon collègue Richard Turp, qui est le conseiller artistique de ce projet. Nous avons constaté qu’il n’y avait pas vraiment d’intégrale des mélodies de Poulenc enregistrée par un même groupe de chanteurs dont la langue maternelle est le français. Il existe deux intégrales de ces mélodies, une chez EMI, réalisée par de grands artistes, mais qui ne sont pas nécessairement francophones. La langue est un élément important pour l’amour et l’appréciation de la poésie. Lorsque j’entends réciter du Shakespeare, je préfère résolument qu’il soit interprété par des locuteurs dont la langue maternelle est l’anglais. Dans les mélodies de Poulenc, les poèmes sont d’Éluard, d’Apollinaire, entre autres poètes français, dans lesquels les nuances de la langue sont très subtiles. C’est pour cette raison qu’il était très important pour moi de recourir à des chanteurs francophones. Il s’agit aussi de la première intégrale de ces mélodies à avoir été enregistrée en une seule année. Le pianiste Pascal Rogé a livré un très beau coffret de 4 disques, mais qui a été réalisé sur plusieurs années. J’ai donc eu l’idée de travailler conjointement avec Richard Turp et d’inviter les six chanteurs, qui forment pour moi l’équipe rêvée, ma distribution idéale. Ils ont tous dit oui!

Une des choses remarquables de ce coffret tient au fait que vous y avez inclus trois mélodies inédites et qui n’ont jamais fait partie d’un enregistrement commercial. Parlez-nous de ces mélodies…
Oui, il y a trois mélodies inédites qui n’ont jamais été enregistrées. Celles-ci ont été interprétées pour la première fois par nos chanteurs dans quelques festivals d’été au Québec. L’une d’entre elles, Petite Complainte, est en quelque sorte une farce, un duo a cappella trouvé dans la correspondance du compositeur. À l’époque de cette composition, Poulenc était très déprimé. Il écrit une lettre à Adrienne Monnier, dans laquelle il blague à propos de sa vie misérable.
La deuxième, Chanson de Marin, est une mélodie que Poulenc a composée pour le film Le Voyage en Amérique d’Henri Lavorel en 1951, et écrite pour Yvonne Printemps. La partition de cette mélodie a été perdue. Le seul témoignage que nous avons de l’existence de cette chanson est une très mauvaise bande de l’enregistrement de la trame sonore de ce film. Ce film n’étant plus disponible aujourd’hui, nous avons dû nous appuyer sur cette mauvaise bande. Mon père, Michel Godin et François Le Roux ont reconstitué le texte, et j’en ai transcrit la musique. J’y ai mis beaucoup de temps! Julie Fuchs, une formidable jeune chanteuse française, a donné la première de cette mélodie au concert et l’a ensuite enregistrée pour nous.
La troisième, Viens! Une flûte invisible, est très intéressante. Hervé Lacombe, qui a écrit la superbe nouvelle biographie de Poulenc, et François Le Roux ont déniché le manuscrit de la toute première mélodie de Poulenc à la Bibliothèque Nationale de France. Cette mélodie a été écrite à l’occasion du mariage de la sœur du compositeur alors que celui-ci n’avait que 13 ans. Nous avons utilisé une photocopie du manuscrit. C’est vraiment incroyable de pouvoir tenir ce document dans ses propres mains! Cette mélodie n’a jamais été chantée, exécutée en public ou enregistrée. C’est une sorte de pastiche de Debussy – le style de Poulenc n’y est pas encore, c’est très naïf. La musique s’appuie sur un beau texte de Victor Hugo.

Pouvez définir ce qui rend la musique de Poulenc si singulière?
Sa musique est pleine de contradictions. Elle peut être à la fois spirituelle et truculente ; très mélancolique et humoristique. Il n’y a jamais qu’une seule chose. Je crois que ce n’est pas un secret pour personne que Poulenc était considéré autant comme un moine que comme un voyou par Claude Rostand, mais je pense qu’il était plutôt quelqu’un de toujours fidèle à lui-même. Il ne se reposait pas sur ses lauriers. Il disait qu’il n’avait jamais eu de méthode pour composer sa musique, que c’était toujours très spontané. Au premier abord, sa musique peut paraître très compliquée, mais lorsqu’on la connaît davantage, elle est, en effet, simple et spontanée. Je pense que Poulenc écrivait vraiment avec son coeur plutôt que de recourir à n’importe quelle technique intellectualisée. D’une certaine façon, à fréquenter sa musique pendant une année entière, j’ai l’impression que j’ai fait sa connaissance, comme si je m’en étais fait un nouvel ami.

Si vous n’aviez pas eu la possibilité de faire une carrière en musique qu’est-ce que vous auriez aimé exercer comme métier?
Il y a deux choses que je voulais faire quand j’étais enfant, tout d’abord, je voulais devenir archéologue. J’étais passionné par des endroits comme Pompéi et tous les sites où l’on peut trouver des choses anciennes. C’est un peu ce que nous, les musiciens, faisons avec la musique : nous tentons de découvrir de nouvelles choses du passé, de nouvelles vérités à son sujet. Je crois que c’est un peu la même chose, c’est aussi très émotif. Comme artiste et musicien, j’aime les questions intellectuelles dans la mesure où elles sont au service de l’émotion et de l’expression.
La deuxième chose, c’était de faire de la cuisine. J’aime beaucoup cuisiner, c’est pour moi un merveilleux passe-temps, qui n’est pas fatigant du tout. Je crois que j’aurais bien voulu avoir un restaurant ou quelque chose du genre. C’est assez éloigné de la musique, mais il s’agit quand même de création!

Quels sont vos prochains projets?
Je suis très enthousiasmé par le lancement du coffret Poulenc, je lance également CLEF, le Centre lyrique d’expression française, qui a coproduit le projet Poulenc avec ATMA. J’ai fondé CLEF avec Richard Turp et d’autres amis afin de préserver et de promouvoir le répertoire lyrique français. Nous allons nous assurer que les compositeurs oubliés soient redécouverts. Nous allons également offrir des classes de maîtres, présenter des conférences et inviter des gens comme François Le Roux à donner des cours sur le répertoire français. Cela se fera en collaboration avec des écoles du Québec et du reste du Canada. Il y aura aussi un site web comprenant une grande base de données du répertoire. Selon notre évolution, nous envisagerons de coproduire des projets de concerts et d’enregistrements comme nous venons de le faire avec Poulenc.
Je vous fais part également d’un autre projet, soit l’exécution en concert des 170 mélodies de Poulenc à l’Académie Francis Poulenc à Tours, en France, un programme présenté en quatre concerts, les 12, 14, 19 et 21 novembre. Nous sommes emballés par cet événement!

Propos recueillis par Luisa Trisi, © ATMA Classique 2013